Je pressens cette terre sans arbres
et pure de ne dresser aucun obstacle,
et les visages eux-mêmes vidés de tout destin,
attendant au coin d’un bois déjà rouge
l’illumination tombée des limbes du froid,
j’envisage tout cela et même l’aérogare
ne sera qu’une immense cage claire
dont la structure aérienne allégera l’esprit
et où les pas des voyageurs à peine visibles
résonneront sur la tuile des passerelles
pour disparaître dans des escalateurs infinis
glissant vers le troisième sous-sol,
et ce monde n’aura de religieux
que ses églises de villages barricadées
au bout des côtes aux noms de saints et d’anges
et l’harmonie grégorienne des grenouilles
et le cantique sexuel des danseuses de bars,
-- et je songe à l’évanouissement de quelques chevaux noirs,
à un défilé de maisons fantômes vers la nuit
sur des arpents sans clôtures hérissés seulement
de buissons fleuris et de vieux pommiers
et dans ce beau triomphe de la raison,
des avions cracheront aux deux minutes
de longues fumées chaudes
ensorceleuses de grands ciels
et nous vivrons dans la belle récitation
des arrivées et des départs, dans la grâce
des horaires respectés et des contrôles de mouvements,
et la beauté sidérante des carlingues et des chromes,
nous y plongerons des yeux de fièvre
et frôlerons de nos corps chauds les baies vitrées
pour y laisser une empreinte à peine visible de nous-mêmes,
la marque d’un doigt ou la buée d’un souffle,
avant de nous envoler vers des jours meilleurs.
Là où la conscience écologique côtoie un futur cartésien sans âme
1. Dans le « Le rêve de l’arpenteur », il semble que le monde s’est « vidé », mais de quoi au juste ?
2. Pierre Nepveu s’est inspiré de l’ancien aéroport de Mirabel pour écrire le recueil dont est tiré ce poème. Reconnaissez-vous ce lieu, anciennement agricole, dans les vers du « Rêve de l’arpenteur » ?
3. Est-ce que vous vous identifiez à ce poème, à ses images et à son « message » ? Pourquoi ?
4. Deux verbes seulement ont comme sujet le « je ». Peux-tu les identifier ? Quel sens peuvent-ils avoir par rapport au titre du poème ?
5. Ce poème est un long souffle, une longue énumération ; il est en fait une seule phrase. Comment cela influence-t-il la façon de le réciter ?
Activité d’écriture
Écrivez à votre tour un poème en vous inspirant d’un lieu (maison, gratte-ciel, paysage réel ou imaginaire, nature, ville, banlieue…) tout en y exprimant, si vous le souhaitez, vos préoccupations écologiques !
Liens utiles
- « Pierre Nepveu : la poésie sous haute tension », un article de Paul Chanel Malenfant paru dans Le Devoir en 2005.
-
Série littéraire En toute liberté — Rencontre avec Pierre Nepveu, écrivain :
-
Trois poèmes de Pierre Nepveu récités : Le rêve de l’arpenteur, Mélèze (inédit) et Station Lachine :
Pierre Nepveu, « Le rêve de l’arpenteur », Lignes aériennes, Éditions du Noroît, 2002.